Ou comment on commence à comprendre qu'en fait, courir après les KPI n'était pas forcément la meilleure idée pour vivre mieux (et bien).

Ou comment on commence à comprendre qu’en fait,
courir après les KPI n’était pas forcément la meilleure idée
pour vivre vieux (et bien).

Quand la to-do liste devient une arme de destruction massive

C’est une histoire banale, tristement banale : vous avez une réunion à 9h, un livrable pour midi, 37 mails non lus, une alerte Notion pour un projet à venir, et la douce impression que votre cerveau est un tableau Excel sous acide. Le tout, évidemment, en télétravail dans un coin de salon, avec un mug de café tiède comme seule compagnie loyale. Vous vous dites : « Faut que je tienne. » Mais vous ne savez même plus quoi, ni pourquoi.

Breaking News : vous n’êtes pas un cas isolé. D’après une étude Opinion Way pour Empreinte Humaine (2023), 44 % des salariés français se disent en détresse psychologique. On parle souvent de burn-out, mais on oublie que le « trop » au travail commence parfois par un simple mail qui vous fait soupirer trop fort.

Et si on vous disait que ralentir n’était pas fuir, mais résister ? Bienvenue dans le monde du Slow Work.

Le Slow Work, c’est quoi
exactement ?

Aux origines du mouvement : de la Slow Food au Slow Work

Tout commence en 1986, quand un certain Carlo Petrini proteste contre l’ouverture d’un McDonald’s sur la Piazza di Spagna à Rome. Il fonde alors le mouvement Slow Food : une ode à la cuisine locale, au temps long, à la qualité plutôt qu’à la vitesse. Spoiler : ce n’est pas juste une histoire de burrata.

Cette philosophie va faire des petits. On parle de Slow Cities, Slow Fashion, et bien sûr, de Slow Work. L’idée : repenser notre rapport au temps et à la productivité. Non, il ne s’agit pas de travailler moins, mais de travailler mieux, avec plus de sens, plus de conscience, et moins de réunions inutiles sur Teams à 18h42.

Le journaliste canadien Carl Honoré, dans son ouvrage In Praise of Slow (2004), devient l’un des principaux ambassadeurs du mouvement. Il y décrit une société malade de sa vitesse, obsédée par l’optimisation, et prône un retour à la lenteur choisie.

Plus récemment, Cal Newport, professeur et auteur du best-seller Deep Work, remet une couche : la productivité ne se mesure pas au bruit qu’on fait sur Slack, mais à la qualité de ce qu’on produit, en silence, concentré, loin des notifs.

Définition et principes fondamentaux du Slow Work

Le Slow Work, ce n’est pas glander en chaussettes face à un écran Netflix en prétextant une « retraite introspective professionnelle ». C’est une philosophie de travail qui repose sur quatre piliers :

  1. Respect du rythme naturel :
    On n’est pas tous câblés pour faire du 8h-18h. Le Slow Work encourage l’autonomie et la reconnaissance des pics de concentration individuels.
  2. Qualité plutôt que quantité :
    Finie la glorification du surmenage. Mieux vaut une idée brillante que 8h de présence fantôme.
  3. Concentration profonde :
    Le Deep Work comme antidote au multitasking inefficace.
  4. Temps de pause et de réflexion :
    Parce qu’on a aussi besoin de ne rien faire pour faire de grandes choses.

Et non, ça ne concerne pas que les freelances perchés qui bossent depuis Bali entre deux cours de surf. Le Slow Work s’applique aussi dans les bureaux, les usines, les écoles. Partout où on bosse en fait.

Ralentir, c’est résister à une culture qui confond activité et efficacité. Et c’est aussi un moyen de retrouver du plaisir à bosser — oui, ça existe encore.

Comment adopter le Slow Work au quotidien ?

Non, il ne s’agit pas de méditer 3h par jour sur un rocher en espérant que le budget se boucle tout seul.


Pour les individus : des pratiques concrètes

Si l’idée de “ralentir” vous évoque d’abord un risque de vous faire doubler par vos collègues ou de rater un appel client crucial, c’est normal. Le Slow Work ne vous demande pas de décrocher de tout, mais de rebrancher votre attention sur l’essentiel.

Pratiquer le Deep Work

Cal Newport nous explique dans Deep Work: Rules for Focused Success in a Distracted World que dans un monde hyperconnecté où la seule certitude c’est qu’on va être interrompu 1453 fois sur une tache qui pourrait potentiellement ne prendre que 16 minutes, la recette est assez simple : dédier des plages horaires à une seule tâche, sans distraction.
Oui, cela implique de désactiver Slack.
Et les notifs LinkedIn.
Et WhatsApp.
Et le fil d’actualités du monde en flammes.

Apprendre à dire non

Le Slow Work commence parfois par un simple “non” poli à cette réunion dont vous ne connaissez ni l’objet, ni les invités. Fixer des limites, c’est pas être difficile, c’est être lucide.

Revaloriser les pauses

Non, la pause café ce n’est pas de la flemme. C’est de la recharge cognitive. La science est formelle : faire des breaks booste la mémoire, la créativité et même l’empathie (utile pour ne pas tuer son N+1).
C’est même L’Office of National Statistics UK qui le dit. Depuis 2021.

Tenir un journal de travail

Pas un bullet journal Instagrammable. Juste un petit carnet pour noter : “qu’est-ce que j’ai appris / produit / aimé aujourd’hui ?”. Ça aide à retrouver du sens, et parfois à détecter le trop-plein.


Pour les organisations : vers une culture du travail durable

Les entreprises qui pensent que le Slow Work = baisse de performance devraient jeter un œil aux startups scandinaves ou aux pratiques de certaines entreprises américaines comme Basecamp ou Buffer.

Flexibilité des horaires et autonomie

Le micro-management est le meilleur ennemi du Slow Work. Laisser les salarié·es gérer leur emploi du temps, c’est leur permettre de coller à leurs pics de productivité naturels. Et souvent, de produire mieux en moins de temps.

Évaluer les résultats, pas les heures

Un employé qui reste jusqu’à 20h n’est pas forcément plus impliqué. Il est peut-être juste coincé dans sa boucle de mails passifs-agressifs. Mesurer l’impact plutôt que le temps passé = clé d’un Slow Work efficace.

Créer une culture du repos assumé

Et si les congés étaient obligatoires, les pauses encouragées, les messages “envoyés à 23h” désactivés par défaut ? Un rêve ? Non, une stratégie RH. Certaines boîtes l’ont fait, elles ne s’en portent pas plus mal : Patagonia, par exemple, qui encourage ses salarié·es à prendre du temps pour se reconnecter à la nature.
En bref : on a besoin d’une nouvelle définition de la productivité.

Témoignages et retours d’expérience

Travailler intelligemment » ne veut pas dire « répondre à tout, tout le temps ».


Le collègue ninja de la bande passante mentale

Un jour, j’ai découvert que mon collègue Gustave (évidemment, ce n’était pas du tout son prénom) ne lisait pas ses mails. Enfin… pas tous. Il avait mis en place une stratégie de filtrage automatisé si chirurgicale que seuls les messages vraiment urgents, adressés à lui seul, franchissaient la barrière numérique.

Les mails en copie « pour info », les alertes de com interne, les “hello petite question rapide” ? Redirigés, triés, étiquetés, et… ignorés.

Résultat : Gustave vivait dans une paix cognitive que je pensais réservée aux moines bouddhistes sous Xanax. Il répondait moins, mais mieux. Il était moins “visible”, mais infiniment plus utile — quand il le fallait. Choc pour moi, qui lisais tout scrupuleusement et culpabilisais à chaque appel loupé comme si j’avais raté un code rouge de la NASA.

“Ce n’est pas de l’égoïsme, c’est de l’écologie mentale”, m’a-t-il dit un jour, en sirotant un café comme s’il ne venait pas de me renvoyer à ma propre névrose organisationnelle.

Aujourd’hui encore, je repense souvent à ce collègue. Il n’était pas plus intelligent que les autres (désolé Gustave), mais il avait compris que son énergie mentale était une ressource précieuse — et qu’elle méritait mieux que d’être dilapidée dans des boucles Slack “juste pour suivre”.

Le Slow Work face aux défis du futur du travail

Non, l’avenir du travail n’est pas uniquement celui de cette startup californienne avec baby-foot, canapés tout moelleux et yoga obligatoire.


Le piège de la productivité assistée par IA

On vit une époque formidable où un robot peut écrire un rapport à votre place, analyser les KPIs et même vous dire à quel point vous êtes stressé·e. Merci, GPT, Clippy a bien évolué.

Mais ce n’est pas parce que la technologie permet d’aller plus vite qu’il faut l’utiliser pour courir sans fin dans un couloir de mails générés en boucle par des IA. Le Slow Work, c’est aussi savoir choisir les outils qui servent notre concentration, et non ceux qui la vampirisent.


Télétravail : entre liberté et hyperconnexion

Travailler en slip depuis son salon était, il fut un temps, le summum de la liberté professionnelle. Puis est arrivé le “présentéisme numérique” : être toujours en ligne, toujours réactif, toujours un peu “en veille”.

Le Slow Work dans le télétravail, c’est :

  • délimiter des temps off non négociables,
  • couper les notifs sans culpabilité,
  • refuser les réunions où “on va brainstormer un peu” sans ordre du jour (aka les enfers).

La quête de sens, nouveau moteur des carrières

Les nouvelles générations ne rêvent pas d’un CDI à vie et d’une médaille pour 40 ans de loyauté. Elles veulent un job qui fait sens, un équilibre entre pro et perso, et la possibilité de bosser sans devenir une annexe de leur boîte.

Le Slow Work n’est pas une lubie de millennial fatigué·e. C’est une réponse systémique à un système qui a poussé trop loin la logique de l’urgence et du rendement. Et c’est précisément pour cela qu’il s’imposera — lentement, mais sûrement.

Ressources pour aller plus loin

Parce qu’un bon article, c’est aussi un tremplin pour explorer (à son rythme, bien sûr).


Livres

  • Carl Honoré – L’éloge de la lenteur
    L’ouvrage fondateur du mouvement slow, qui explore toutes les sphères de la vie moderne, y compris le travail.
  • Cal Newport – Slow Productivity (2023)
    Une critique brillante de l’hyperproductivité contemporaine, et une méthode pour accomplir moins, mais mieux.
  • Tricia Hersey – Rest Is Resistance: A Manifesto
    L’autrice et militante afro-américaine y défend le repos comme un acte politique.

Podcasts

  • Vlan! par Grégory Pouy
    Des conversations profondes sur la société, le travail, et comment ralentir pour mieux penser.
    Écouter sur Spotify
  • The Ezra Klein Show – épisode “Work, Burnout and the ‘Slow Productivity’ Movement”
    Une interview passionnante de Cal Newport.
    Écouter sur Apple Podcasts


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